Confinés mais ensemble - Chronique d’une période tourmentée #27


Jour 49

Dimanche 3 Mai 

Cette journée avait le goût des dimanche « déprime » de l’adolescence.
Ces dimanches gris et pluvieux qui s’étirent en longueur et en langueur.
Ces dimanches où l’on ne fait rien.
Que traîner son coeur maussade.

Je les détestais ces dimanches là.
Ils voulaient dire retour en classe, devoirs à terminer en vitesse,...

Je leur préférait mille fois les dimanches de réunion de famille.
Même si les au revoir du soir, après les coquillettes et le kiri, étaient toujours difficile.

Aujourd’hui pourtant, le soleil était de sortie.
Il brillait tellement haut que les garçons ont voulut à nouveau repartir en balade.
J’ai d’abord refusé.
Parce que je savais que nous allions croiser bien du monde avec un beau temps pareil, malgré le vent.
J’irai cédé à contre coeur, pour leur faire plaisir.


Mes prédictions étaient justes.
Il y avait énormément de monde sur la corniche Kennedy.
Comme si l’épidémie n’existait pas.
C’était presque un dimanche ordinaire.
Les masques et les contrôles de police en plus.

Nous avons marché jusqu’au Vallon des Auffes.
Petit bijou marseillais à deux pas de notre appartement.
Le littoral est interdit, nous nous contentons du petit port que nous aimons tant.

Il est déjà temps de rentrer.
Marius ronchonne.
Il a tellement besoin de ces petits instants de liberté.

Nous rentrons, étrangement fatigués, saoulés de vent et de grand air.



L’après midi me semble interminable.
J’ai le corps lourd.
Et le coeur aussi.

Je n’arrive à rien.
Pas même à prendre une photo.

Je ne fais rien.
Absolument rien.

Je déteste être dans cet état, moi l’hyperactive aux 25 idées à la seconde.
Je m’en veux même.

Mais je crois que mon corps avait besoin de cette pause que mon cerveau lui refuse habituellement...


Jour 50

Lundi 4 Mai

Le soleil brille aujourd’hui encore et le vent est retombé.
L’humeur maussade elle aussi s’en va petit à petit.

Mes jambes sont moins lourdes et le brouillard dans ma tête s’évapore doucement.

On retrouve la routine de la semaine.
Cinquante jours déjà.
J’ai du mal à y croire.
C’est tellement irréel tout ça.
Et en même temps, il faut croire que nous nous y sommes fait.


Nos journées se ressemblent, nous avons trouvé notre rythme, presque immuable.

Prendre le petit déjeuner, s’habiller, jouer à la maîtresse, sortir sur le balcon pour prendre l’air, préparer à manger, passer à table,...
C’est assez rassurant finalement...
Enfin je crois...

Ce matin, en nous installant sur le balcon, nous avons eu une bien jolie surprise qui a fait naître les sourires et la joie.
Nous avons des abeilles!
« Butine » est revenue! Et elle a bien grandit!
Et elle n’est plus seule.
Nous avons au moins 3 abeilles qui dansent sur notre terrasse et, dans un ballet incessant, elles vont et viennent entre les fleurs du quartier et leur petite maison.
C’est fascinant à regarder.
Les enfants crient de joie à chaque fois que l’une d’elle reviens et entre dans les petite alvéoles.

Je m’abandonne à leur contemplation, moi qui n’aime en général pas les petites bébêtes.
Je suis comme hypnotisée, un sourire béat aux lèvres.
Nous élevons donc des abeilles et cette idée me rend heureuse.

La matinée s’écoule au son des chanson Disney (je suis en train de saturer légèrement je crois) et des mondes en playmobils.
Combo gagnant pour avoir quelques minutes à moi, à côté d’eux.
Je ne lâche pas mon tambour à broder que je retrouve avec plaisir.



Ils fait tellement bon dehors que nous mangeons sur le balcon.
Comme un goût de vacances d’été.
Un bonheur simple comme des carottes râpées et du bon pain.
Les garçons sont heureux de cette petite nouveauté, et nous, on profite de l’air qui s’est réchauffé, juste ce qu’il faut.

Un mail arrive de l’école de Marius et nous remet les deux pieds dans le réel.
Vous le savez, il ne retournera pas en classe pour le moment.
Mais je prends le temps de lire « le plan » de retour à l’école la semaine prochaine.
Et je suis encore plus sidérée par le choix du gouvernement.
Les équipes enseignantes elles, s’adaptent comme ils peuvent et ça donne des protocoles intenables à mon humble avis.
Dans le désordre: impossibilité de jouer avec les autres enfants en classe et en récréation, pas de jouets à disposition, pas forcément son enseignant habituel ni sa classe, périmètre d’1 mètre de distance à respecter sur tous les temps de la journée,...

Je suis désolée pour les enseignants, qui ne vont pas pouvoir faire leur travail et qui vont devoir se transformer en garants hygiène et sécurité, avec toute la pression que cela implique, venant de leur hiérarchie, des instances institutionnelles et des familles aussi.
Je suis triste pour les familles qui n’auront pas le choix d’être volontaire ou pas et qui seront contraints; et pour les enfants, surtout les plus petits, qui vont devoir plonger sans sommation dans un univers aseptisé et fait d’interdits.

Mais je sais aussi que les personnes qui seront sur le terrain feront de leur mieux pour que les enfants se sentent bien malgré tout.
Et que les enfants s’adaptent plus vite que l’on ne pense.


Les siestes de Marius sont de plus en plus inexistantes.
Nous l’envoyons quand même se reposer « le temps de la musique ».
Quand le disque de berceuses jazz est terminé, s’il ne dort pas, il a le droit de revenir auprès de moi.
Ça ne m’aide pas à me concentrer mais on ne peut pas le forcer à trouver le sommeil...!

A 16h, tout le monde est levé.
Ils goûtent, je tente de profiter du calme relatif pour continuer un peu ma broderie en cours...
Et quand je regarde l’heure à nouveau...
Il est 19h!

Peut on me dire où diable passent ces 3 heures de fin de journée?
Ça me fait cet effet de temps qui file absolument tous les soir.
Et ça fait invariablement monter une angoisse et un sentiment d’urgence.
Mon ventre se serre, j’ai la sensation que je n’ai pas pu faire ce que je voulais.
C’est extrêmement désagréable, d’autant que ça se passe dans ma tête et que je crois bien que personne ne comprendrais cette agitation soudaine.

Je décide de ne pas céder ce soir.
Je n’ai pas terminé, c’est tant pis.

J’avais promis des lasagnes.
J’envoie les garçons au bain et je monte le son à fond.
Je danse dans ma cuisine en préparant la sauce dont j’ai le secret.

J’adore faire ce plat parce que c’est une des seule choses que mes chevelus dévorent avec gourmandise.
Et en les regardant, je me sens mamma italienne, mère nourricière et j’éprouve comme un sentiment de plénitude.
Et je me prends à imaginer que plus tard, quand il seront adultes, ils diront partout que les meilleurs lasagnes sont celles de leur maman.
Je n’ai pas d’origines italiennes mais ma grand mère nous a élevés dans l’idée que l’on montre son amour aussi en remplissant les estomacs.
Un de mes oncles l’a toujours appelé la « mamma ».
Et quand il passait la porte de la maison, c’est elle qu’il appelait en premier, de sa voix tonitruante.
Et quand son « mamma » raisonnait dans la cage d’escalier son visage s’illuminait d’un seul coup.
Son petit était à la maison.
Il rentrait et il n’en avait que pour elle.

J’ai grandit entourée d’oncles grands et costauds qui auraient pu soulever ma grand mère de terre sans aucun soucis.
Alors, quand je m’imagine plus vieille, quand je trace mentalement les rides qui auront poussées au coin de mes yeux, je vois mes garçons, grands, si grands qu’il pourront me soulever de terre pour m’embrasser.


C’est ça mon rêve je crois: avoir des garçons heureux de me retrouver au point de me faire quitter le sol et qui n’auront pas honte de le faire si le coeur leur en dit.
Des hommes parfaitement à l’aise avec leurs sentiments, quels qu’ils soient.
Sacré challenge!
Mais je relève le défi sans peur!

Voilà 20h.
Je sors, comme tous les soirs, applaudir.
Nous sommes de moins en moins nombreux.
Moitié moins je dirais...

Jour 51

Mardi 5 Mai

Le ciel est à nouveau gris souris.
Et il semblerait que ces temps ci, mon moral soit indexé sur la météo...
Et ça m’agace.

Aujourd’hui les maux de tête accompagnent mon réveil (formidable!) et avec eux un poids très désagréable sur la poitrine.
Évidemment j’imagine le pire.
Je me sens épuisée, comme si mes forces me quittaient progressivement.
Je déteste cette sensation.
Et évidemment je lutte.
Je ne m’allonge pas, je ne lâche pas...
Ce n’est pas la meilleure des solutions.
Je le sais.
Mais je suis comme ça.`


En même temps avec les deux asticots que j’ai dans les pattes, je n’ai pas trop la possibilité de m’allonger et d’attendre que ça passe.

Je préviens tout de même Mathieu de cet état moyen moins et il fait au mieux pour finir vite sa matinée de travail et venir à ma rescousse.

Aujourd’hui, c’est aussi l’anniversaire de ma maman.
Avec ma soeur, nous avons fait de notre mieux pour l’entourer de loin.
Les fleurs, le cadeau livré, les messages, les appels.

Ça ne remplacera pas notre absence mais on espère que ça adoucira le manque...un peu au moins.

La grève de la sieste est désormais quotidienne pour Marius.
Mais il s’amuse assez souvent seul et il est ravi d’avoir du temps juste pour lui, sans son petit frère qui détruit systématiquement (ou presque) ses installation de playmobils et de véhicules.

A 16h, mon téléphone sonne.
C’est l’une de mes voisines.
« Il faut venir devant leur porte, Marcel a fait des cookies pour les petits! »

Marcel, ce prénom...
Celui que j’aurais aimé donner à l’un de mes fils.
Je le trouve si doux.
Et il me rappelle tant les aventures enfantines qui me faisaient rêver dans La Gloire de mon père.

Et notre voisin le porte bien.
Il respire la gentillesse.
C’est un grand monsieur aux cheveux blancs, aux airs de grand père bienveillant.
Il a des yeux d’enfants et un sourire doux.

Nous traversons le couloir pieds nus et en chaussettes pour aller récupérer le goûter des enfants.
Marius est heureux mais, comme il ne sait pas l’exprimer autrement par excès de timidité, il cours dans tous les sens et fait des acrobaties pour se faire remarquer sans avoir l’air d’y toucher.
Il bredouille un timide « merci » tête baissée.
Il en profite aussi pour leur annoncer fièrement que « le président de la France ne sait même pas porter son masque comme il faut parce qu’il le met même pas sur son nez! », le rose aux joues.

La prochaine fois, Marcel, l’ancien pâtissier l’a promis, ce sera des choux à la crème.

La fin de journée défile à toute allure.
Comme hier et les jours d’avant.


C’est le moment que je choisis pour demander à mon époux dévoué de me prendre en photo avec l’une de mes créations pour un projet que vous verrez bientot.
J’ai la photo en tête, la force de l’habitude.
Il ne comprends pas ce que je veux.
Je le fais recommencer 30 fois, il abandonne en bougonnant que je n’ai qu’à me débrouiller.

Je n’ai toujours pas investi dans un trépieds...

J’empile donc une chaise haute, une vieille valise, trois dictionnaires et quelques legos...
Et je me débrouille avec ma photo.
58 tentative plus tard, il y en a 3 de bonnes...
C’est dans la boite!
Dure vie de créative/blogueuse/instagrameuse (ceci est évidemment un plaisanterie)!

Il est déjà 20 heures.
Mon autre voisine, la plus âgée, passe la tête a la jonction de nos balcons.
Elle a envie de parler.
Je m’avance pour discuter un peu avec elle.
Et le temps file encore.

Tant que le jour est encore là, j’appelle ma maman et ma soeur en visio.
Impossible que l’on ne se « voit » pas un jour comme celui là.
Nous voile tous réunis par écrans interposés.
La nouvelle façon de se réunir ces temps ci.
J’aperçois dans l’image parfois brouillée ma filleule, si grande déjà, son petit frère plus si petit, ma maman qui cache un peu son émotion, le jardin de la maison...
Après avoir chanté « Joyeux Anniversaire » on ne sait même pas quoi se dire finalement.
Les enfants assurent le spectacle.
Nous, on se regarde, sans presque un mot...
J’ai la sensation que je ne les reverrai pas avant une éternité.
Et ça me brise le coeur.

Pendant que les enfants dînent, je profite de l’accalmie pour aller me laver les cheveux.
Mais c’est sans compter sur le radar infaillible.
Leurs assiettes englouties les voila assis au pied de la baignoire, tous les deux, en train d’étaler les jeux de bain dans toute la pièce « pour pas que Martin s’ennuie maman »...
Il faut croire que je devais leur manquer...

Jour 52

Mercredi 6 Mai

La météo a l’air elle aussi d’avoir des hauts et de bas.
Comme nos émotions si fortes en ce moment.

A la grisaille humide d’hier succède le soleil brillant d’aujourd’hui.
Mais le vent souffle fort, encore.

Qu’importe, nous passons la matinée sur le balcon.
A l’air frais.

Le vent de la liberté souffle aujourd’hui encore et le soleil nous appelle.
Comme beaucoup d’ailleurs...


Nous décidons de ne sortir qu’en fin de journée, en espérant éviter la cohue.
C’est peine perdue, il faut bien l’avouer.
Les trottoirs sont bondés.
Le Vallon des Auffes, encore plus.
Le gens s’attroupent, discutent comme si tout était normal.
Les masques ne sont pas vraiment de sortie non plus...
C’est l’angoisse à tous les coins de rue.
On essaie de profiter de notre heure dehors, en évitant les autres.
En évitant les insouciants au détriment de la notre insouciance. 
Et de celle de notre 5 ans qui s’inquiète de plus en plus à chaque fois qu’il touche quelques chose.
Une rambarde, un mur,...


Nous lui avons répété, sûrement trop, que dehors il fallait faire attention et ne pas toucher à tout.
Il a bien compris la leçon, croyez moi.
Il me fait l’état de tout ce qu’il touche, tout ce qu’il frôle.
Il est inquiet, on le rassure.
On dé dramatise.
On ré explique.


On finit par trouver un coin tranquille, juste avant le coucher du soleil.
A l’heure où tout le monde est rentré.
Nous on regarde passer les bateaux, entourés de chats errants (qui gardent leurs distances), assis sur des rochers.
Nous sommes seuls, enfin...
 






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