Confinés mais ensemble - Chronique d’une période tourmentée #21


Jour 36

Lundi 20 Avril

En écrivant la date, que je suis obligée de chercher du regard sur mon téléphone, je prends conscience que le premier mois de confinement est passé depuis quelques jours déjà.
C’est fou quand on y pense...
Un moi déjà, et combien d’autres.

Ici la routine de la semaine reprend son cours.
Mon tendre époux est déjà au travail, enfermé dans la chambre d’ami/bureau de fortune/atelier/dressing...


Les enfants déjeunent, je bois mon café.
(Promis, je vais le terminer cette fois).
Ici c’est encore les « vacances » de printemps.
Pas de travail scolaire...enfi ça dépend des jours.
La maîtresse de Marius n’envoie parfois rien pendant des jours et puis tout d’un coup un fiche tombe, vacances ou pas d’ailleurs.

Et quand il s’agit de s’y mettre, ce n’est jamais simple avec Marius.
Il panique, s’énerve.
Il me dit souvent « j’ai trop chaud! », « j’ai chaud au cou », « ca me gratte! » quand il est face à quelque chose qu’il ne maitrise pas.
C’était le cas la semaine dernière avec une fiche de graphisme.
Des boucles, des carrés, des ronds, des triangles en pointillés à repasser.
Et la panique qui s’installe.
Ses petits pieds qui se frottent fort l’un contre l’autre, le corps qui remue dans tous les sens, la chaleur dans le cou.
Il réclame un gant de toilette humide sur la nuque pour essayer de s’apaiser.
C’est le truc que j’ai trouvé pour faire baisser la pression...
Sa respiration s’accélère, tout son petit corps est crispé...

Certain diront qu’il me fait de la « comédie » parce que je suis sa maman et pas son enseignante.
Moi ce que je vois surtout c’est de la détresse dans ses moments là.

Et je me dis aussi que s’il est sans cesse en train de retenir tout ça quand il est en classe, nos soirées parfois mouvementées s’expliquent totalement.

Quand tout ça sera terminé, il faudra que l’on se penche sur tout ça.
Je ne voudrais pas passer à côté de quelque chose...
Je suis peut être trop à l’écoute de mes enfants, on m’en fait souvent le reproche, mais je suis sure d’une chose: je ne changerai rien.

Ici l’ambiance devient un peu plus électrique ces derniers jours...
Les prises de tête arrivent plus vite...
La voix monte plus haut...
Mais tout retombe aussi rapidement...
On trouve des ressources et la prise de recul est plus qu’indispensable surtout en étant confinés!

Tout n’est pas toujours rose, ainsi va la vie.
On apprend encore, et ça n’en finira pas.


20h arrive vite et la pluie fine n’a pas cessé de tomber aujourd’hui.
Dans les rues plus loin, on entend résonner de la musique.
Sur l’un des balcons en face, une petite mamie en chemise de nuit et robe de chambre danse et frappe en rythme.
Mon humeur maussade se dissipe aussitôt.
Je rentre le sourire aux lèvres.

Jour 37

Mardi 21 Avril

Le jour se lève sur un ciel gris et la pluie fine qui ne cesse d’en tomber.
C’est très humide dehors, rien ne sèche et, malgré le toit de notre grand balcon, les enfants rentrent mouillés par l’humidité ambiante.

Ce matin, ma voisine m’appelle.
Je décroche de peur qu’ils aient un souci.
« Merci pour les cookies! Ils étaient délicieux! Mon mari voudrait la recette pour essayer quand vous aurez le temps...nous on a le temps vous savez, vous pouvez passer tout à l’heure si vous voulez, quand vous voulez... »

Le mari de Danièle, si j’ai bien tout compris, est un ancien boulanger. Il a un air doux dans le regard et l’enfance dans le sourire.
Habituellement nous ne faisons que nous croiser, ce confinement nous aura un peu rapprochés.

Je passe l’après midi à travailler en écoutant distraitement « 3 hommes et un couffin » à la télé, vu 3 milliards de fois, tout comme la version américaine « tel père telle fille » que l’on adorait enfant.

A l’heure du goûter, je fais quelques gaufres et pendant la cuisson, je recopie avec application ma recette de cookies américaine sur une jolie petite fiche.

Rendez vous compte du chemin qu’elle aura parcouru: elle m’a été transmise à l’oral par Liz, canadienne anglophone, dans une cuisine du Texas. Je l’ai ramenée dans mes valises et depuis 10 ans, je la ressort en toute occasion. Elle est le témoin discret de mes goûters entre amies précieuses, des anniversaires de mes enfants, des fêtes de familles, des petits et grands moments. Je l’ai partagée avec vous et maintenant je la transmet à mon tour à un monsieur marseillais de plus de 80 ans qui n’a probablement jamais mis les pieds sur le sol américain (quoique ça, je n’en sait rien)...
J’aime comme cette recette voyage...
J’aime me dire que la fiche avec mon écriture sera remisée dans un tiroir de leur petite cuisine. Qu’elle sera peut être tachée par le beurre et les pépites de chocolat, comme toute bonne recette qui se respecte...

Pendant que je vous écris ça, j’ai une idée qui me vient en tête.
Je me fatigue tellement...
Bon c’est pas grave je vous la dis, vous me direz si c’est pure folie...
Et si j’organisais un un grand partage de recettes écrites à la main (genre un swap)?
Ce serait chouet non?

J’en peux plus de moi je vous assure...

Je reprends le cours de ce que je vous racontais...
J’ai donc fait des gaufres pour le goûter et noté avec application ma recette.
Les garçons se lèvent et goûtent tranquillement.
Je suis toujours tellement heureuse quand je les vois dévorer ce que je cuisine.
Ce n’est pas toujours le cas, mais avec les gaufres je ne me trompe jamais.


Je me dis que peut être, exceptionnellement, nous pourrions sortir pour leur dégourdir les jambes.
J’envisage le bout de la rue...
200, 300 mètres à tout casser...
Et puis voir la mer...
J’en parle à Mathieu.
Il est plutôt partant.
Moi, je regrette déjà.
La peur me gagne.
Mais les garçons seraient tellement heureux...


On annonce le programme et les règles à respecter à Marius.
Il est heureux, tellement heureux.
Mais quand il comprends que la balade sera de courte durée, restrictive et que l’on ne pourra pas aller sur le sable. Quand il comprend que ce n’est pas finit, ce sont de grosses larmes qui roulent sur ses joues, silencieuses.
On lui propose d’enfourcher son vélo et nous voila partis.
Au dernier moment je décide de mettre Martin dans sa poussette.
C’est trop risqué, il touche à tout.
On énonce les règles avant d’ouvrir la porte et nous sortons.
Tous les 4 pour la première fois depuis 35 jours, nos attestations en poche, au cas ou.
Avant de prendre l’ascenseur, on dépose des gaufres chez nos premiers voisins.
Ils sont si heureux d’apercevoir les enfants...
Ensuite, on sonne chez Daniele pour déposer la recette et aussi quelques gaufres.
Eux aussi sont en joie de voir les enfants.
Ils leur montrent que leur petit poisson d’avril est accroché en bonne place sur le mur de la cuisine.
Daniele leur dit « voyez les enfants, on pense à vous tous les jours! ».
Je suis émue aux larmes de leur gentillesse pour mes petits.
Marius, souvent timide, leur fait la conversation.
Ils ont des sourires jusqu’aux oreilles.
On se dit à bientôt et on se promet de se donner des nouvelles des cookies.

Nous descendons dans la rue...
A peine la porte passée, mon ventre se tord.
La peur me gagne.
Peur de croiser trop de gens, peur de ne pas avoir pris la bonne décision...
A priori on ne risque rien, nous avons pris toutes les précautions possibles, mais on ne se refait pas...

Nous marchons jusqu’au bout de la rue, jusqu’à la mer.
Elle est calme et grise.
Nous prenons une grande respiration.
Mais nous nous rendons vite compte que nous croisons beaucoup (trop) de monde sur la corniche.
Des gens qui semblent insouciants.
Je ne les juge pas, ils pourraient dire la même chose de nous.
Il pourraient se dire que l’on devrait rester chez nous au lieu de sortir nos gosses.
J’ai des pointes dans les côtes, je suffoque de trouille.

On rebrousse chemin malgré les supplications de Marius qui a bien trop envie de grappiller quelques minutes de liberté supplémentaires...


Avant de remonter, on prend une photo, devant la porte du cercle sportif du quartier, à quelque mètres de notre entrée.
On immortalise.
J’ai l’impression de vivre sous l’occupation.
Je ne sais pas l’expliquer, c’est une drôle de sensation.
Peut être à cause du vocabulaire guerrier que l’on nous assène depuis plusieurs semaines et que pourtant je rejette.

Nous remontons, puis vient l’heure des applaudissements...

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