Confinés mais ensemble - Chronique d’une période tourmentée #25

Jour 45

Mercredi 29 Avril

Aujourd’hui le vent souffle fort.
Trop fort.
Dehors le linge est renversé.
Dedans nous sommes mis à rude épreuve.
Les tourments ressortent dans nos comportement et on démarre la journée par une grosse frayeur.
Un grand « boom » pendant que je m’habille.
La tête de mon tout petit qui heurte le sol.
Encore une fois (deuxième chute depuis le début de ce confinement)
Je hurle de peur, ces situations me tétanisent.
J’ai tellement peur que le pire n’arrive que je ne suis plus du tout maîtresse de moi dans ces cas là.
Il pleure tout de suite.
Il a eu très peur je le vois dans ses yeux.
Je le serre dans mes bras jusqu’à ce que Mathieu vienne le sortir de mon étreinte avec sang froid.
Pas de sang, pas de bosse, des éclats de rires.
Ca va aller il me dit.
Mais moi je n’entends pas.
J’ai peur pour mon bébé, c’est tout.

Je le surveille comme le lait sur le feu, aux aguets du moindre signe.
La trouille au ventre ne me quitte pas.

Mais il faut bien se ressaisir.
La maîtresse envoie un peu plus régulièrement des fiches de « travail », alors on s’y met.
Je fais en sorte d’y insuffler de l’entrain et de l’amusement pour que ce soit moins vécu par Marius comme une contrainte qui l’empêche de jouer.
Ce matin ce sera graphisme.
Chose qu’il n’aime pas du tout du tout.
Mais il fait des efforts, ils se concentre et s’applique.
Je l’encourage, je lui apporte un verre d’eau parce qu’il « a chaud maman, j’ai trop chaud », je dessine un petit coeur à coté de chaque ligne terminée.

Le vent souffle dehors, le Mistral est levé.
La tempête est aussi dans les coeurs et coupe l’appétit.
Aujourd’hui c’est jour de fâcherie.
Ça arrive.
Le ton monte, on ne se comprends pas.
La colère l’emporte cette fois.
Ça passera, ça passe toujours.
Nous sommes bien mis à l’épreuve ces temps ci, et même si la plupart du temps le calme règne étonnamment, il y a des jours où c’est la colère qui gagne.
Les reproches fusent puis le silence.

Un jour, un ami très proche m’a dit: le secret c’est la fourchette dans le lave vaisselle.
Ou plutôt celle qui n’est pas dans le lave vaisselle.
Le secret c’est ça.
C’est ça?
Aussi simple qu’une fourchette? 

Sa théorie était simple:
A la fin de la journée, soit tu décides de te focaliser sur la fourchette que l’autre aura laissé traîner et pas mis dans le lave vaisselle et tu en fais tout un plat, soit tu décide de voir le reste autour.
Parce que peut être qu’à côté de cette fourchette pas rangée, il y aura un gâteau pâtissé avec amour, un mot doux murmuré ou juste un sourire.

Quand la colère l’emporte, je pense souvent à la fourchette et je vois tout le reste.
Je m’éloigne un peu pour laisser s’évaporer les rancœurs (une fois dites en général elle ne subsistent pas chez moi, je ne suis pas rancunière pour un sous) et j’essaie de trouver le bon.
Pas toujours facile.
Plus difficile en tout cas que de ressasser du négatif.
Par contre je suis partisane du « faut que ca sorte » aussi.
En général quand c’est dit, ça va déjà mieux pas vrai?

Cet après midi, c’est grève générale.
Les garçons ne dorment pas...
Je devrais avancer mon travail mais c’est peine perdue.
Les « maman j’ai soif », « maman j’ai fini », « maman? », « cacaaaa! », « maman regarde... », « maman on peut goûter? », « Bateauuuuuuu », et consort m’empêchent de me concentrer et me coupe toutes les 5 minutes.

J’ai le coeur grenadine en plus du reste, ça n’aide pas du tout.
Je me traine.
J’ai les yeux gonflés...
Pour la créativité on repassera.

On replante la menthe et les garçons vont au bain.

Pendant qu’ils sont à table, je m’échappe encore.
Moi aussi je me fais couler un bain.
Je dois laver ma tignasse alors c’est une bonne excuse.
J’essaie de me détendre.
Ca marche un peu.
Je les rejoint au moment de l’histoire.
Ils s’endorment rapidement.

En vidant le lave vaisselle, je prends tout d’un coup conscience qu’après ce bain, je me sens délassée.
Je retrouve la sensation que j’avais enfant.
Bien au chaud dans mon pyjama, les mains douces et chaudes d’avoir trempées dans l’eau.
J’ai l’impression d’être dans du coton.
Je souris sans y faire attention.
C’est ça que l’on appelle « la pleine conscience »?
Je prends le temps de ressentir...
J’expérimente sans vraiment chercher cet état, et ça fait du bien...

Jour 46

Jeudi 30 Avril

Je me suis décidée hier soir: aujourd’hui, nous allons sortir, traverser la place et aller récupérer notre commande de livre au drive que notre petite librairie de quartier à mis en place.
Des albums sur les abeilles pour les garçons, un roman pour moi.

Je suis seule avec les garçons, c’est jour de bureau.
Nous sommes jeudi.
Déjà...

Quand ma libraire m’a donné ce créneau j’ai d’abord dit non.
Parce que sortir seule avec les garcons dans les circonstances actuelles, c’était compliqué à envisager pour moi.
Si Mathieu avait été là, j’y serai allé seule et je serais remontée le plus vite possible.

Et puis je me dis que peut être, prendre l’air, même quelques minutes, ne fera de mal à personne...
J’ose et j’accepte.
Marius demande à prendre son vélo.
Je n’ai pas le coeur à refuser...

J’anticipe notre départ une heure avant.
Je répète les règles, je prépare la poussette, le vélo, les masques, le gel hydroalcoolique.
J’amène tout dans l’entrée pour ne pas avoir à passer dans la maison avec nos chaussures (comme je le fais en temps normal quand j’oublie quelques chose).
Je prépare les enfants, et puis moi.

Avant d’ouvrir la porte, je demande à Marius de répéter à son tour les règles.
Il les connaît bien.
Il sait que sortir n’est pas anodin, ni possible tout le temps.
Pour lui c’est la fête aujourd’hui.
Il trépigne d’impatience.
Il éclate de rire sans raison.
Il me serre dans ses bras.
Il est tellement heureux d’aller voir le dehors pour la troisième fois en plus de quarante jours.
Martin aussi est content, même harnaché dans sa poussette.


Au moment de passer la porte, il s’écrie « c’est que la troisième fois que je sors moi! »
 Et il file comme l’éclair en pédalant.
Il est raisonnable et freine au coin pour m’attendre.
Il lève les yeux vers les arbres de la place.
« Oh la la maman! Ils ont beaucoup poussés les arbres t’as vu? »
Il a raison, les feuilles bien vertes s’épanouissent en pagaille et c’est beau tout ce vert.
Ce confinement contraint aura au moins eu ce mérite: nous faire ouvrir les yeux sur tous les jolis détails qui nous entourent.

Nous roulons jusqu’à la librairie du coin de la rue.
Il y a la queue.
Principalement ce que les libraires voulaient éviter en donnant à leurs clients un horaire de passage.
Mais je constate que parmi les gens qui attendent, certains s’arrêtent sans avoir passé commande en amont, demandent des conseils pour des cadeaux et passe énormément de temps devant la petite table installée pour l’occasion et pour barrer l’accès à la boutique.
Les gens ne se montrent toujours pas disciplinés et au fond de moi, je suis passablement agacée...
Sur la dizaine de personnes qui patiente, nous sommes 3 à porter des masques.
J’ai de la buée plein les lunettes mais je ne flanche pas.
Il restera en place tout le temps que nous passerons dehors.

C’est enfin à nous.
Emilie, la libraire, a un mot gentil pour nous et s’inquiète de notre « drôle période d’acclimatation à Marseille ». Je lui souris avec les yeux et j’essaie de ne pas trop bavarder pour ne pas ralentir leur cadence, déjà bien ralentie par les gens devant moi qui n’avaient pas pris soin de passer commande avant leur venue et qui demandaient tranquillement des conseils (sans masque)...


Marius, épris de liberté, me quémande des bonbons.
La presse juste à coté est ouverte.
Je cède de bon coeur mais ils m’attendent sagement devant la porte sans rien toucher.
Chez le primeur en face, de jolies fraises attirent nos yeux. On en mangera pour le dessert c’est décidé, et la gentille dame offre une sucette à Marius.


Il s’arrête devant un angle de porte où poussent sauvagement de pissenlits.
« T’as vu maman? C’est les fleurs que j’offrais pour toi quand on était dans notre maison à Toulouse... »
Il a les yeux dans le vague, et moi les larmes aux yeux.

Le temps est bon, le ciel est bleu...difficile de remonter tout de suite.
Je décide, en restant aux aguets, de marcher jusque chez le fleuriste qui vend des pivoines.
Marius pédale comme un beau diable, Martin regarde le monde qui l’entoure calmement.
Je n’arrive pas à me détendre.
Je scanne chaque personne que nous croisons.
Je m’écarte pour laisser passer ceux qui arrivent en face, Marius fait la même chose.
Je remarque étrangement que les gens qui ne portent pas de masques, nous regardent avec de la peur dans les yeux et s’écartent de nous comme si nous étions pestiférés.
Je me dis que le monde parfois marche à l’envers.
C’est moi qui devrait craindre ceux qui ne prennent pas la peine de se protéger et de protéger les autres un minimum.
J’essaie de me rappeler de ne pas juger.
Je ne connais pas ces gens.
Peut être n’ont il pas encore le moyen de le faire (?) ou peut être, j’en ai peur, ne se sentent ils pas concernés par ce que nous vivons...


Le monde remarchera t il à l’endroit?
Retrouverons nous nos vies d’avant?
Quand aurais je le bonheur de revoir les miens?

Je suis pleine d’incertitudes, comme nous tous, et ça me colle le vertige.

Je regarde mon garçon pédaler librement sur son petit vélo, le vent dans ses cheveux, ivre de liberté,...

Un jour après l’autre...
Se concentrer sur le positif...
Ne pas perdre pieds...

Et rentrer...
Chargés de petits bonheurs...


La poche de bonbons, les beaux albums sur les abeilles, le bouquet de pivoines, les fraises et la pastèque...
Rien d’indispensable, c’est certain.
Rien que du futile, j’en convient.

Je suis critiquable moi aussi dans les yeux de certains qui m’auront croisée dans la rue sans savoir rien de notre quotidien, ou qui me lise en se disant que je n’ai vraiment pas de raisons de me plaindre.

Les enfants sont épuisés d’avoir pris l’air.
C’est assez impressionnant.
Ils s’endorment presque dans leur assiette.

Ils ne font pas de difficulté quand il s’agit d’aller se reposer après déjeuner et sombrent dans le sommeil assez rapidement.

Je me prépare un latte et je m’installe au canapé pour avancer sur mes projets.
J’allume la télé pour me tenir compagnie.
Je dessine, j’imagine, et je bois mon latte.
Je le pose toujours sur le canapé à côté de moi quand je suis seule.
Pas de risque de le renverser, je fais attention...
Mais c’est sans compter sur ma maladresse qui apparaît quand je fatigue...
Je bois une nouvelle gorgée, je me rate la bouche (oui si si ca m’arrive parfois), je tache ma robe, j’essaie de reposer ma tasse, elle me glisse des doigts et c’est la catastrophe.

Le latte se répand sur le canapé, le tapis (blanc) et la table basse.
Je me maudit et je pleure.
Je prends en photo le carnage pour partager ce grand moment de solitude avec mon époux.
Et il me répond...
« C’est pas grave! »
Et je l’aime encore plus quand il me dit des trucs comme ça.
Il a raison, c’est pas grave.
C’est juste du latte renversé.
La tapis sera taché, le canapé aussi mais au final, c’est pas la fin du monde.
J’éponge, je fais au mieux pour réparer les dégâts, et puis ça passe.

Les garçons dorment longtemps à tel point que c’est moi qui vais les sortir du lit.

Mathieu rentre avec les courses de la semaine.

Quelques minutes après, on sonne à la porte.
J’ouvre.
C’est la plus âgée de mes voisines.
Celle avec qui je discute par le balcon.
Elle a l’âge de ma grand tante.
80 ans de plus que Marius.

Elle me tend un pot de muguet.
Les larmes me montent aux yeux.
Elle me dit « oh la la! J’ai failli vous embrasser mais il ne faut pas! »
Je la remercie et je lui dit combien je suis touchée.
Elle m’explique avoir envoyé sa fille, qui passe tous les jours les voir, en quête de muguet dans le quartier, juste pour pouvoir nous en offrir parce que ça porte bonheur.
Je suis tellement émue par sa jolie attention.
Et nous discutons sur le pas de nos portes voisines, en gardant nos distances.
Elle me dit ses douleurs, ses angoisses.
Elle me raconte sa jeunesse, les fruits qu’elle mangeait dans la propriété de ses grands parents.
Je lui raconte notre balade du matin.
Elle me dit ses arrières petites filles et leurs caractères.
Je lui parle de ma soeur et de ses enfants.

Trente minutes s’écoulent, sur le pas de nos portes voisines...

Demain, je lui apporterai moi aussi du muguet...





Commentaires

  1. J'adore vous lire c'est fluide et chargé d'émotions en tout genre !! Merci Eloise_ducs

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