Confinés mais ensemble - Chronique d’une période tourmentée #24

Jour 44

Mardi 28 Avril

8h30, l’heure de se lever...
La pluie est revenue.
Le ciel est gris souris.
Je ronchonne un un en regardant la pluie fini tomber sans discontinuer.
Un espoir subsiste, je vois un petit coin de ciel bleu clair, loin, bien loi au dessus de la mer...
Tout n’est pas perdu...

Pour le moment, les enfants ne veulent pas déjeuner.
Ils émergent sur le canapé (mais restez au lit bon sang!).
Alors je prépare mon latte et je sors un bagel a la cannelle du congélo.

Ceux là, ils ne sont que pour moi.
Il n’y a que moi qui aime la cannelle à la maison.
J’ai hésité à en faire samedi.
Après tout, je suis la seule à aimer la cannelle...
C’est peut être pas la peine d’en faire...
Et puis si!
Se faire plaisir ça compte, même si c’est un plaisir égoïste.
J’ai donc préparé 5 bagel à la cannelle.

J’en sors un du congélo donc et je le passe directement au grille pain.
Avec la chaleur, l’odeur embaume la pièce.
Ça sent la cannelle et le pain chaud.
Ca sent l’Amérique et mes souvenirs.
Ça sent les goûters au coffee shop après l’école et les petits déjeuner de jeunes mariés.
Ça sent les kilomètres en harley sous le soleil du désert et les dimanches de fête foraine sur le pier de Galveston...
Ça sent le rêve fou qui nous anime de faire découvrir ce continent à nos enfants.
Je ferme les yeux et je me laisse emporter le temps d’une respiration...

J’installe mon petit déjeuner sur la table encombrée, entre les petites voitures oubliées, le travail pour l’école et mon bullet journal.
Je me fais de la place.
Il faudrait ranger cette table...
Je regarde mes pivoines qui se sont presque toutes épanouies dans la nuit.
Je porte la tasse à mes lèvres, les yeux mi clos...

« Mamaaaaaan! Z’ai faiiiiiim! »
Franchement? C’est un complot pas vrai?
Je leur ai demandé juste avant de m’asseoir!
Ils le font exprès non?
Ou alors ils ont un radar...
« Tient maman vient d’arrêter de bouger, c’est pas normal, on va lui demander un truc! »
C’est comme ça chez vous aussi?


Un peu plus tard dans la matinée, après le dessin animé et le temps d’activité d’école à la maison sur les abeilles (beh oui on est éleveurs maintenant alors la thématique était toute trouvée), Marius me réclame des bateaux à voiles crochetés. Je me met au travail pour son plus grand bonheur.
Toujours avec le livre de Kate Bruning qui est une mine de jolies choses.

On écoute de la musique, je crochète, ils jouent tranquillement (pour une fois).
Midi arrive vite, ce sera feuilletés tomate comté et salade.
Bon et rapide à préparer.
C’est parfait.


Cet après midi, j’ai prévu d’assister au live de Julie Adore sur le compte Instagram d’ Eyrolles Loisirs Créatifs.
On couche Martin, Marius regarde un dessin animé et moi je prépare mes p’tits papiers à découper.
J’en met partout et je m’installe pour une petite heure rien qu’à moi (ou presque).
Julie commence et comme à chaque fois que je participe aux ateliers qu’elle anime, je me laisse emporter par sa voix, son énergie et son si bel accent.
On découpe, on colle, on tisse, on s’évade.
Je m’évade...



A tel point que j’oublie que je voulais écouter les annonces du premier ministre devant l’assemblée.
C’est un message whatsapp de ma copine Pauline, enseignante en maternelle, qui me fera revenir sur terre.
Je n’aime pas polémiquer ni ici, ni sur les réseaux parce que je trouve que les gens, bien protégés derrière leurs écrans, ne sont jamais très constructifs et versent assez rapidement dans les propos haineux et jugeants.
Je vous l’ai déjà dit, Marius ne retournera pas à l’école tant que la situation dehors ne sera pas un minimum maîtrisée.
C’est notre choix et je suis bien consciente d’une chose: j’ai la grande chance d’avoir le choix, parce que je suis maman au foyer et je travaille sur mes projets depuis chez moi.
Je fais donc partie de la population pour qui « sur la base du volontariat » veut dire quelque chose.
Mais soyons honnête, ce volontariat là il est amplement biaisé pas vrai?
Comment feront ceux qui seront forcés de retourner travailler et qui ne sont pas volontaires pour remettre leurs enfants à l’école? Comment feront les familles monoparentales qui ne pourront pas se passer d’un salaire et dont le parent sera rappelé au boulot? Et les autres?
Où est le choix quand on sait que les arrêts pour garde d’enfants n’existeront plus et que, si tu veux/dois rester pour garder ton môme, tu basculeras en chômage partiel automatiquement.

Faire rentrer toutes les classes le 11 mai à part les collèges et lycées?
Vous savez ce que je pense au fond de moi quand j’entends ça?
Que la réalité derrière tout ça c’est qu’il faut remettre les gens au turbin, en dépit de leur sécurité et de leur santé.
C’est que si les crèches et écoles réouvrent en premier, c’est pour que les parents puisse retourner bosser. Les collégiens et lycéens pour la plupart sont assez grands pour se garder seuls ou laisser leurs parents au calme s’ils sont en télétravail.
De quel « volontariat » parle t on?

Et si t’as pas le choix que de remettre ton enfant en collectivité, tu seras un mauvais parent alors? Parce que tu seras considéré volontaire pour l’envoyer prendre des risques?

Je ne vous mens pas vous le savez.
J’ai envie de vomir depuis ces annonces.
Je suis tellement triste et désemparée.
Je suis révoltée aussi.
Je suis triste face au désespoir de ma copine qui devra reprendre le chemin de sa classe.

Je suis peut être à côté de la plaque mais c’est mon ressenti là tout de suite.

Bien sur je suis bien consciente que le volet économique d’un pays est important, évidemment.
Je ne suis pas spécialiste de la question, loin de là, mais je ne suis pas non plus étrangère à la réalité.

Bien sur je pense à ceux pour qui le retour à l’école est synonyme de plus de sécurité, synonyme d’échappatoire à des contexte familiaux terrifiants.
Évidemment.
Et le manque de moyens  donnés aux travailleurs sociaux pour leur venir en aide habituellement, on s’en parle ou on fait comme si ça n’existait pas.

Je trouve atroce de se servir des violences intra familiales, des inégalités sociales aussi pour justifier toute cette organisation...
Parce qu’en temps normal, c’est vraiment pas une priorité alors que ça devrait.
Comme l’hôpital public et les conditions de travail des soignants soit dit en passant.

Je n’arrive juste pas à intégrer les injustices et le mensonge.
Ne soyons pas dupes.

Je ne parle pas théorie du complot ici, ne vous méprenez pas.
Je parle juste de ce qui me crève les yeux (et le coeur).
Ne soyons pas dupes.

Peut être qu’après ces confidences, certaines ou certains ne viendront plus me lire, mais peut importe.
C’est ce que je ressens aujourd’hui et je ne prétends pas détenir la vérité mais je le partage avec vous.

Je pleure aussi beaucoup après ça.
Parce que je vois s’afficher à l’écran « limitation des déplacements au département », « déplacement des plus de 100km interdits ».
C’est le coup de grâce.
Achevée.

Vous allez vous dire « beh c’est totalement paradoxal! Elle vient de prôner la sécurité d’abord! ».
L’humain est farci de paradoxe vous savez.
Et moi j’ai du recevoir double dose.

Je pleure parce que pour moi ça signifie que je ne rêverais pas mes très proches avant des mois encore.
Et je pleure pour ça.
Parce qu’on est seuls ici.
Tout seul.
À plus de 500 km de nos parents, de ma soeur, de la famille qui nous manque atrocement.
On ne pourra même pas allez devant le portail de maman pour lui dire coucou de loin.
Si nous avions été plus près, nous nous en serions tenus aux recommandations évidemment mais nous aurions pu aller les apercevoir, trouver des stratagèmes en limitant les risques, sans se toucher, juste les voir en vrai.

Je pleure mais en même temps je sais que c’est une question de privation de liberté parce qu’en réalité, nous n’aurions pas fait le choix de prendre de risques, surtout pour eux.

J’ai le coeur en miettes, je suis révoltée et déboussolée.
C’est presque devenu un état permanent à vrai dire...


La journée en demi teinte se termine cahin caha.
Entre les disputes des enfants et les gestes pas tendres dans ces cas là (en ce moment en tout cas).
Les explications pour la millième fois.
Deux assiettes de pâtes, dont une au ketchup parce que c’est comme ça que je les aime depuis petite et que Marius aussi.
Une partie de Mille Bornes (meilleur cadeau de noel ever) pour apaiser les coeurs.
Un bisou et au lit...

Ce soir, quand, pour la quarantième fois, j’ai envoyé la photo de famille du jour à nos proches, je leur ai dit à quel point ils nous manquaient tous.
Je leur ai dit notre tristesse d’être prisonniers d’un département qui n’est pas « le notre ».
Ce soir, contrairement aux autres soirs, ce n’est pas moi qui ait re motivé les troupes.
Ce sont eux.





Commentaires

  1. J'ai les larmes aux yeux en te lisant. Parce que je fais la rigolote et la fille détachée depuis des semaines mais que tu décris exactement mon ressenti, l'injustice de la situation concernant l'école (même si je vais faire le même choix que toi si je peux), le retour au travail en se servant du prétexte de la précarité dont tout le monde se foutait bien pas mal jusqu'ici... Je suis triste et en colère. Ma famille est loin aussi, et je ne la serrerai pas dans mes bras, question de privation de liberté qui me pèse mais je n'aurais pas non plus pris le risque de leur causer du mal...
    Bref, je t'embrasse, je lis tes posts IG mais rarement ton blog, je passerai ici plus souvent à l'avenir.

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